ENTRETIEN – Le patron du tour-opérateur Ôvoyages (181M€ de CA 2018, plus de trente clubs de vacances Ôclub dans le monde) livre son analyse sur Thomas Cook. Son activité de tour operating, traditionnelle, engagée sur le terrestre et l’aérien, exclusivement B2B, s’est ouverte au package dynamique et aux destinations en long-courrier depuis 2 ans. Connu pour son franc-parler, Raouf Benslimane passe ici en revue le modèle français, la guerre des prix, les commissions, l’absence de fonds de garantie de l’aérien…
La faillite du groupe Thomas Cook était-elle prévisible ?
La société est endettée depuis des lustres ! Il faut se rappeler qu’elle avait déjà été mise sous « assistance respiratoire il y a quelques années par le gouvernement britannique. Il avait injecté 2 milliards de livres sterling auxquels s’est ajoutée la prise de participation de Fosun à hauteur de 17% si ma mémoire est bonne. La question est de savoir pourquoi Thomas Cook, entreprise implantée au niveau mondial et bi-séculaire, était endetté et n’a pas réussi à se redresser. Trop gros, trop lourd, pas agile, pas assez digital, loi de la concurrence ? Personne ne dispose de toutes les informations détaillées pour faire une analyse sérieuse sur les limites du modèle, les oppositions stratégiques internes, les intérêts divergents entre créanciers investisseurs- détenteurs de CDS (credit default swaps) et les vrais actionnaires, etc.
Cela remet-il en cause le modèle du tour operating ?
Tous ceux que j’entends dire et déduire que le modèle du tour operating est dépassé, que Thomas Cook n’avait pas su se renouveler, que les autres TO sont condamnés… n’ont aucune compétence pour en juger car ils ne disposent pas, en réalité, de la masse d’informations nécessaires pour ce faire. On ne doit pas préjuger des causes de l’effondrement d’une entreprise multinationale aussi ancienne, alors que son concurrent direct, TUI, propose quasiment le même modèle économique et pourtant se porte beaucoup mieux (hors France). Conclure à la faillite du tour opérating du fait de la faillite de TC est une ineptie !Et dans le cas de Thomas Cook France ?
Au-delà de l’endettement du groupe, Thomas Cook France a été forcément victime de la concurrence éclatée du marché français qui est de surcroît un marché restreint, et de la guerre des prix orchestrée notamment par TUI depuis l’époque de Marmara qui a cassé l’image de beaucoup de destinations du bassin méditerranéen. On peut y ajouter le coût des charges fixes ainsi que des commissions extrêmement élevées versées aux réseaux à distinguer de ce qui est perçu par les agences. J’apporte d’ailleurs tout mon soutien aux équipes de TC, victimes à leur tour du modèle allemand.Faut-il changer le modèle français ?
Le marché français caractérisé par une guerre folle des prix additionnée à la faiblesse des marges rend suicidaire l’acceptation des taux de commissions tels que nous les connaissons en France, alors qu’ils sont deux fois moindre outre-Rhin ! Mes collègues et amis du Seto peuvent en témoigner. Lors de différentes réunions, d’autres patrons de TO et moi avons mis en garde sur le risque majeur de destruction découlant de la guerre des prix alors que les agences et leurs clients attendent de la qualité, de la différenciation, de la valeur ajoutée. C’est cette guerre des prix qui, en France, a mis à mal les deux leaders mondiaux que sont TUI et Thomas Cook, après Look et Fram ! Une guerre des prix découlant des surcapacités mises sur la marché toujours par les mêmes qui s’imaginent que le marché français est comme le marché allemand alors que ce dernier est beaucoup plus importantQue va-t-il se passer pour les autres TO?
C’est un désastre pour toute la chaîne pyramidale, à savoir hôtels et réceptifs et TO, mais il faut distinguer 2 choses :_premièrement, les dégâts provoqués par cette faillite. Les impayés importants que subissent notamment les TO risquent d’accélérer la chute des acteurs qui étaient déjà faibles ou au bord du précipice.
_deuxièmement, faillite de Thomas Cook ou pas, le modèle du tour opérating est de toute façon à revoir. Cela est totalement déconnecté de toute faillite passée ou à venir.
Aujourd’hui, on ne sait plus qui est vraiment tour-opérateur, qui va disposer réellement de stocks quand les sièges des low cost seront remplis, qui fait du marketing sur les clubs et qui met réellement les moyens pour se différencier, qui propose et prend le risque d’aller chercher et d’offrir des produits différents, qui se dépense en sang et en sueur -sans fonds d’investissement- pour satisfaire ses clients.