Quel avenir pour les tour-opérateurs ? C’est la bonne question qu’a posée notre confrère François-Xavier Izenic aux différents fournisseurs présents à Dubaï début décembre dernier durant le congrès Selectour. En voici quelques extraits. Avec sur le podium Jean-Pierre Nadir, fondateur d’Easyvoyage ; Serge Uramek, DG d’Eastpak Voyages ; Raouf Benslimane, PDG de Thalasso N°1/Ôvoyages ; Aurélien Aufort, DG de Voyamar ; Nicolas Delord, président de Thomas Cook France ; Pascale Gaston, DG de Visit Europe ; Pascal de Izaguirre, président de TUI France ; Olivier Kervella, PDG de NG Travel ; Alain de Mendonça, PDG de Karavel et Fram ; Guillaume Linton, président d’Asia.
Pascal de Izaguirre, président de TUI France
Sur le marché français il y a pléthore d’offres. C’est un environnement hyperconcurrentiel avec une offre excédentaire… De plus, il y a de nouveaux acteurs. Bien sûr il y a les Gafa (Google-Apple–Facebook-Amazon), mais il y a aussi les compagnies low cost qui m’inquiètent beaucoup. Le patron d’Easyjet, qui connait bien le tourisme puisque c’est l’ex-patron de TUI, vient de recruter l’ex-directeur des achats hôteliers du groupe TUI avec la volonté de développer Easyjet Voyages. Quand l’on est un TO engagé comme nous, il est absolument impossible de rivaliser avec l’offre des compagnies low cost en matière de choix de vol et de flexibilité sur les horaires… De plus, si nous avons tendance à développer le package dynamique, c’est que nous disposons déjà d’un hôtel et qu’ensuite nous puisons dans le stock de la compagnie. Mais si celle-ci considère qu’il est plus intéressant de vendre son propre package avec un yield plus avantageux, les TO ne seront plus prioritaires. Quant aux relations entre les TO et les distributeurs, c’est un débat qui préoccupe surtout les TO. On en parle depuis des années. Ça n’avance pas. Je pense que nous devrions déjà commencer par avoir une vision commune du marché…
Nicolas Delord, président de Thomas Cook France
Pour un TO comme Jet tours, l’enjeu est de rendre notre offre la plus différenciante possible. Chez nous, ça s’appelle le club. Nous sommes nombreux à faire la même chose du reste. Après tout, l’enjeu avec la distribution est de faire alliance pour réussir à vendre cette valeur ajoutée que nous injectons dans l’offre. Plus gros enjeu encore, c’est de la faire payer au client. Et de vendre le bon produit au bon prix. Dans les relations futures entre la distribution et le TO, il y aura un élément de différenciation de l’offre et un élément de capacité à vendre et à facturer cette valeur ajoutée. Mais là, nous ne sommes toujours pas bons. Plusieurs raisons à cela. D’abord, dès que l’on consolide, il y a un nouvel acteur qui se crée. D’où les difficultés des groupes comme TUI et Thomas Cook en France. Ensuite, nous avons peur de vendre la valeur en France. Nous avons beaucoup de mal à argumenter sur le contenu du produit et sur la justification de son prix. En agence, les vendeurs ont toujours peur de rajouter des options au client… En fait il faut que tout le monde gagne de l’argent. Les distributeurs, mais aussi les TO. Il faut aller chercher l’argent chez le client, mais il faut qu’il ait une offre qui justifie ce qu’on va lui facturer.
Alain de Mendonça, PDG de Karavel et Fram
Les Framissima sont un concept club très adapté à la clientèle française. Aujourd’hui pour exister sur le marché il faut justifier sa valeur ajoutée. Il faut inventer des concepts différenciants. C’est ce qu’a fait Kappa avec un concept original, c’est ce que nous faisons également chez Fram. J’ai découvert que le métier de TO est très difficile. La plupart d’entre nous perdent de l’argent et ceux qui en gagnent n’en gagnent pas beaucoup. Le référencement proposé par Selectour est l’occasion de resserrer les liens avec la distribution. En fait, si nous sommes sur un marché de guerre des prix, le TO appauvrit le produit, c’est mécanique. Alors que si nous avons des liens forts avec les distributeurs, avec des volumes importants, avec des renvois d’ascenseur, chacun peut gagner de l’argent. Nous partageons non seulement un partenariat mais aussi le client. Face à Airbnb ou Booking, qui vont aller en se développant, avec la complicité des low cost, car tous ces gens-là sont une bande organisée, il faut plus que jamais un ensemble de partenaires stratégiques entre la distribution et les TO.
Olivier Kervella, PDG de NG Travel
Ça fait une quinzaine d’années que l’on entend ce débat. Mais chacun campe sur ses positions. Les distributeurs essaient d’augmenter les taux de commission. Et ils y arrivent bien. Par exemple, chez Boomerang, nous avons augmenté les taux de commission de deux points en dix ans. De l’autre côté, les TO ont de plus en plus de mal à se débattre face à l’impact du printemps arabe et des low cost. Et nous avons de plus en plus de difficultés à survivre. En fait, nous devrions considérer que nous sommes sur le même bateau… Nos destins sont liés. Et si les taux de commission continuent à augmenter, nous allons nous retrouver dans une situation où les distributeurs eux-mêmes vont se mettre hors marché. On parle de taux de 16% ou 17%, nous prenons 7% ou 8% pour vivre, derrière, ça fait des marqueurs de 24% à 25% ! Alors quand vous regardez les prix pratiqués sur Booking, Expedia ou Hotels.com pour les produits banalisés, l’agent de voyages aura de plus en plus de mal à être concurrentiel. Parallèlement, les TO sont asphyxiés car ils ont de plus en plus de mal à verser des déposits pour sécuriser des sièges et des lits dans des hôtels labélisés. Le risque, à terme, est de se retrouver sur un marché où les distributeurs vont faire eux-mêmes leurs propres packages en assemblant des sièges qui viennent des compagnies low cost avec des lits trouvés chez Booking. A partir de là, il n’y aura plus vraiment de valeur ajoutée pour les consommateurs. C’est ce qui se passe aux Etats-Unis où Booking et Expedia ont tout raflé. Les agences de voyages s’en sortent parce qu’elles font du « à la carte ». Nous, les TO, avons besoin de vous les distributeurs, mais vous, vous aussi avez besoin de nous… Laurent Abitbol a beau être très bon, je ne pense pas qu’il parviendra à négocier les taux de com’ actuels avec des acteurs comme Expedia, Booking ou Airbnb… voire Google.
Raouf Benslimane, PDG d’Ôvoyages
La question centrale est : comment respecter le rôle de chacun ? Un TO est un prestataire qui s’engage de façon très importante en prenant de gros risques financiers sur l’aérien et l’hôtellerie. Le distributeur doit se contenter de faire son métier de distributeur. Aujourd’hui, il y a une dispersion. On voit que les TO, par panique ou par volonté d’améliorer les marges, vont chercher le client en direct. Et on voit des distributeurs faire le métier de TO. Ça fait 15 ans que je suis TO et uniquement TO et j’assume mon positionnement. Et toute ma stratégie est basée sur la relation BtoB. A côté de moi, il y a de grands groupes adossés à des fonds d’investissement, mais moi mon fonds d’investissement, c’est vous, les agents de voyages.
Aurélien Aufort, DG de Voyamar
Je me rappelle un congrès du réseau Afat en Egypte. L’un des intervenants était Jean-Pascal Siméon, patron de Switch. Il avait dit aux distributeurs qu’ils allaient disparaitre assez rapidement car ils étaient mauvais. Douze ans après, il y a le même nombre d’agences de voyages et le même nombre de TO en France. Quand Internet a débarqué, les agences ont su se reconvertir et les TO se différencier. La seule difficulté, c’est que les TO et les agences de voyages possèdent les mêmes outils. Les clients rentreront dans les agences demain car ils y trouveront quelque chose de différent. Pour ma part, je pense que c’est une bonne chose d’avoir des réseaux de distribution forts et capables de piloter les ventes… Dans le cas actuel, la crainte des TO vis à vis de Selectour est de savoir si les ventes peuvent être pilotées dans un réseau volontaire ? Je pense que ceux-ci n’ont pas le choix. S’il n’y a pas de pilotage des ventes, les TO vendront en direct… C’est un cercle vicieux.
Guillaume Linton, PDG d’Asia
Le vrai débat n’est pas tant « ventes directes » ou « indirectes » mais plutôt TO « physique » ou « digital ». On sait que le coût d’acquisition d’un client en direct via le digital est phénoménal pour un TO. Le vrai sujet à mes yeux est l’avenir du « physique » et comment le coût du référencement tel qu’il est mis en place par Selectour peut être rentable pour nous. Le choix d’un TO par le réseau ne peut pas être réduit à une histoire de taux de commission. Il y a également la qualité de l’offre, la capacité de l’offre à répondre à la demande des clients, la capacité du TO à accompagner cette offre par des services, ou encore la capacité des équipes. Ce sont les éléments déterminants de cette sélection. Nous ne sommes pas des fournisseurs de produits mais des organisateurs d’expériences.
Pascale Gaston, DG de Visit Europe
Aujourd’hui, l’agent de voyages est sa propre valeur ajoutée. C’est lui qui donne le conseil au client, c’est lui qui connait le client et ses attentes. Et ça, Internet ne peut pas le faire aujourd’hui. Depuis quelque temps, nous nous sommes beaucoup rapprochés des agents de voyages. Quand nos commerciaux vont en agences, ils discutent avec eux pour savoir si les brochures sont suffisamment claires, ce que le client attend de nos produits, etc. Nous pensons que la machine ne remplacera pas l’humain.
Serge Uramek, DG d’Eastpak Voyages
En tant que TO spécialiste nous avons pris une orientation très claire : 95% de nos ventes sont faites par les agences de voyages. Tous nos produits sont modulables et adaptables. Donc, dans ce débat, sur les rapports de force entre distributeurs et TO, nous n’avons pas grand-chose à dire. Notre seul souci est de faire savoir au vendeur tout ce que nous pouvons lui proposer autour d’un produit et comment on peut l’ajuster au client. Je m’aperçois aussi que, de plus en plus depuis quelques années, les agents de voyages nous demandent des produits sur mesure car il y a bien une clientèle à fort pouvoir d’achat qui cherche des produits qu’elle ne trouvera pas sur Internet.
Nicolas Delord, président de Thomas Cook France
Celui qui doit payer la valeur ajoutée est celui qui en bénéficie : le client. Ce client a un service en agence et il a un produit qui est soit du « à la carte » concocté par l’agence de voyages, soit un produit TO. La difficulté des distributeurs, c’est qu’ils sont rémunérés par le fournisseur sur leur acte de vente. Ce qui veut dire que le vendeur, qu’il soit bon ou mauvais, touche la même chose. Du coup, ceux qui sont mauvais ne sont pas encouragés à être meilleurs et ceux qui sont bons ne sont pas stimulés par un supplément de rémunération. Un bon agent de voyages devrait pouvoir maximiser sa marge au-delà de la commission moyenne qui est donnée par un TO. Et un mauvais agent de voyage ne devrait pas toucher la même chose qu’un bon vendeur. Est-ce que ça ne devrait pas nous amener à réfléchir sur un modèle de prix nets ? C’est une question cruciale.
Pascal de Izaguirre, président de TUI France
Pour que ce débat puisse avoir lieu, il faudrait une vision commune qui n’est aujourd’hui pas partagée… Et quand on parle de concentration dans le domaine du tour-operating, je trouve ça ridicule. Il y a eu effectivement quelques concentrations mais le marché reste très fragmenté et le nombre de TO est toujours aussi important. Aujourd’hui, ce qui est frappant c’est la concentration dans le domaine de la distribution. Il y a deux grands groupes. Celui présidé par Laurent Abitbol qui, avec Selectour et Havas, a une force de frappe extrêmement puissante. Et il y a Leclerc Voyages… Soyons clairs : à l’heure actuelle, aucun TO ne peut se passer de la distribution tierce. Et nous, TO, nous sommes demandeurs d’un vrai pilotage des ventes sophistiqué. Par exemple, je souhaiterais travailler de manière très collaborative sur le remplissage à certaines périodes… Alors que l’on se rend compte que dans vos discussions l’alpha et l’omega reste le taux de commission… Je trouve que le rapport de force est très en faveur de la distribution et j’aimerais que nous fassions évoluer nos relations sur le fond. Mais je regrette que ce constat ne soit pas mieux partagé et je ne vois pas à moyen terme cette situation évoluer. Je pense enfin que, comme l’a dit Nicolas Delord, les prix nets peuvent être une solution.
Olivier Kervella, PDG de NG Travel
Je crois que nous sous-estimons le danger des Gafa qui sont déjà très présents dans les pays anglo-saxons et vont bientôt déferler sur l’Europe. Ils vont débarquer avec des technologies magnifiques sur le sur-mesure, sur les circuits départs garantis et sur les clubs… C’est à nous, maintenant, de prouver que nous sommes capables d’apporter une valeur ajoutée pour justifier à la fois les commissions que les agents de voyages méritent et les marqueurs que nous, TO, nous méritons. La vraie menace d’ici à cinq ans est celle-là, et nous devons nous y préparer dès maintenant.