Lorsqu’on parle de la Lettonie, on évoque Riga, et c’est à peu près tout. Peu de guides touristiques s’aventurent au-delà de la capitale. Dommage ! Car Daugavpils, la deuxième ville du pays, à quelques kilomètres des frontières biélorusse et lituanienne, mérite le détour. D’autant plus qu’avec l’ouverture du musée Rothko, elle est en train de construire une offre qui devrait séduire quelques visiteurs en quête d’originalité et de dépaysement.
Photos : © DS
Depuis Riga, il faut environ trois heures de route vers le Sud-Est pour atteindre Daugavpils dans la province du Latgale. Des bâtiments gris, peu d’enseignes commerciales, peu de monde dans les rues, on est loin de la capitale lettone, de ses façades Art Nouveau et de son centre historique grouillant de monde classé au patrimoine mondial de l’Unesco. Bref, difficile d’être emballé. Mais une fois cette première impression passée, on parvient à se fondre dans ce décor dominé par l’architecture stalinienne. On finit même par prendre un certain plaisir à se balader dans la ville avant d’en explorer les alentours.
A 230 kilomètres de Riga, Daugavpils est située sur les bords du fleuve Daugava, quasiment à la frontière avec la Lituanie et la Biélorussie, non loin de celle de la Russie. Sa population de quelque 150 000 habitants est dans sa très grande majorité russophone. Si les devantures des magasins et bâtiments administratifs sont en letton (la langue officielle), les habitants conversent en russe. Ainsi dans une librairie, impossible de trouver un bouquin en letton. Pourquoi ? Tout simplement, « parce qu’il n’y a pas de demande et que ça ne se vend pas » répond sur un ton péremptoire le propriétaire.
Des églises et une forteresse
Pour commencer sa visite, le plus simple est de se diriger vers l’office du tourisme car, depuis peu, il en existe un. Un accueil courtois et souriant vous indique les meilleurs spots à visiter. Des dépliants - en anglais, pas encore en français - complètent l’argumentaire du conseiller. Ce que l’on remarque en premier à Daugavpils, ce sont ses nombreux édifices religieux. Deux églises orthodoxes, une catholique, une luthérienne : pas moins de quatre sites sont réunis dans le même périmètre, « la Colline aux églises », et il est aisé de les visiter. Une mention spéciale pour la cathédrale Saint-Boris-et-Gleb : la plus grande église orthodoxe de Lettonie peut accueillir jusqu’à 5 000 fidèles. Construite au tout début du XXe siècle, de style néo-russe, elle impressionne par ses dimensions et ses nombreuses coupoles dorées. Sa plus haute tour culmine à 56 mètres.
Outre les églises, ce qui fait la fierté de Daugavpils, c’est sa forteresse bâtie à cheval sur les deux rives de la Daugava, un peu à l’écart du centre-ville. Sorte de ville dans la ville, elle a été construite en 1810 pour faire face aux désirs impérialistes de Napoléon dont les troupes s’y casseront les dents. Il faut se munir d’un plan pour en découvrir les différents aspects. Plus belle et plus harmonieuse que le cœur de Daugavpils, cette forteresse dite aussi de Dunabourg, achevée en 1878 et récemment rénovée, apparait avec ses nombreux bâtiments en brique alignés comme une ville étrange et fantôme. Les Nazis l’ont utilisée comme camp de concentration en 1942. Elle a ensuite servi de lieu de garnison à quelque 6 000 soldats russes jusqu’à l’indépendance de la Lettonie en 1991. Depuis, une centaine de personnes vivent dans ses murs. C’est dit-on l’unique forteresse préservée de la seconde moitié du XIXe siècle en Europe du Nord. Depuis cinq ans, elle abrite le centre d’art Mark Rothko (voir encadré « Coup de cœur » p.17), du nom de l’artiste peintre enfant du pays, consacré à l’art contemporain.
Campagne, datchas et pèlerinage catholique
Ville active, Daugavpils comporte une dizaine d’hôtels, de nombreux espaces verts et abrite une université comprenant cinq facultés de Sciences naturelles et mathématiques, Lettres, Education et gestion, Musique et arts, Sciences sociales. Il est aussi plaisant de sortir de la ville, de découvrir en voiture les environs, là où tout n’est que forêt, lacs et traditionnelles maisons de bois. Sur la route qui mène à Kraslava (une vingtaine de kilomètres à l’Est), là où beaucoup de Dunebourgois possèdent une datcha (résidence secondaire), l’été, c’est un enchantement de voir les nombreux nids de cigognes et leurs occupants qui peuplent les arbres.
Au nord-est de Daugavpils, à environ 50 kilomètres – un bus y emmène directement –, se situe la basilique d’Aglona construite au XVIIIe siècle. Impossible de manquer ses deux grandes tours blanches accrochées dans le bleu du ciel. Dans ce pays de tradition protestante, c’est le lieu de culte dédié à la Vierge Marie le plus important du pays. De nombreux catholiques viennent ici en pèlerinage et admirer les œuvres à l’intérieur de cet édifice, à l’origine simple monastère de bois. En septembre dernier, le pape François lors de sa venue dans les Pays Baltes y a célébré une messe devant des dizaines de milliers de fidèles.
Dans le grand dépeçage post-soviétique, la Lettonie s’est émancipée, a succombé à l’économie libérale et intégré l’Union européenne en 2004. Mais elle a aussi perdu beaucoup. Avec notamment le démantèlement de ses nombreuses usines et industries. Daugavpils n’y a bien sûr pas échappé. Bon nombre de ses jeunes ont émigré, à la recherche d’un avenir meilleur. S’ouvrant timidement au tourisme, présentant de plus en plus d’attraits, la deuxième ville du pays est malgré tout loin d’être figée dans le temps. Elle mérite à elle seule que l’on prenne l’avion puis la voiture, l’autocar ou le train pour partir à sa rencontre. Car oui, en Lettonie, il n’y a pas que Riga !
Coup de coeur
Le centre d’art Mark RothkoNé en 1903 à Dvinsk, l’ancien nom de Daugavpils au temps de l’empire russe, le futur peintre Mark Rothko a émigré avec sa mère et ses sœurs aux Etats-Unis à l’âge de 10 ans. Il devint quelques années plus tard un géant de l’art moderne grâce à un style si particulier fait de juxtaposition de blocs de couleurs. En 2013, l’inauguration d’un musée à son nom a créé un intérêt nouveau pour la ville de Daugavpils. Avec le souhait des autorités locales, à l’image de ce qui s’est fait pour le musée Guggenheim à Bilbao ou le Centre Pompidou à Metz, d’éveiller la curiosité des touristes pour la deuxième cité du pays. Une démarche intéressante ! Au sein de la grande forteresse de Daugavpils, ce musée s’insère dans un grand centre culturel composé de salles d’expositions, de conférences et d’ateliers. Le visiteur ne doit pas s’attendre à voir de nombreuses toiles de l’artiste. Tout au plus une dizaine d’originaux mais ils s’intègrent harmonieusement dans un décor aseptisé et agréable. Les expositions temporaires valent aussi le détour. Il n’est pas nécessaire d’être un fan de l’art abstrait pour apprécier l’endroit.