Candidat au poste de Secrétaire Général de l'ONU Tourisme et ardent défenseur de la résilience touristique mondiale, Harry Theoharis appelle dans cette tribune à la création d’un Fonds Mondial pour le Tourisme et explique pourquoi, sous sa direction, l’ONU Tourisme serait idéalement positionnée pour en assurer la gestion
Le changement climatique s'accélère
Les données du Service Copernicus concernant le changement climatique (C3S) ont confirmé que 2024 a été l'année la plus chaude jamais enregistrée, avec des températures mondiales dépassant de plus de 1,5 °C les niveaux préindustriels.
Les conséquences pour le tourisme sont désastreuses : les ouragans, les incendies de forêt, les inondations et l'élévation du niveau de la mer menacent les moyens de subsistance liés au tourisme, les vies humaines et des écosystèmes entiers… avec des conséquences visibles de tous. A Venise, en Italie, des inondations record ont submergé la ville, perturbant le tourisme et endommageant ses sites emblématiques. À Valence, en Espagne, des inondations dévastatrices ont fait 216 victimes, détruit des infrastructures et impacté les entreprises locales ainsi que les activités touristiques. En Californie, les incendies de forêt de 2024, exacerbés par une sécheresse sévère et les vents de Santa Ana, ont détruit des milliers de foyers à travers l'État. En Grèce, les incendies de forêt ont atteint la périphérie d’Athènes, entraînant des évacuations massives et des pertes économiques de plusieurs milliards d’euros. Ces exemples concernent des pays développés, dotés d’économies touristiques solides et d’une industrie résiliente, mais ils montrent à quel point la menace climatique touche désormais même les destinations les plus robustes.
Le changement climatique est un problème mondial que nul ne peut nier. Malheureusement, toutes les destinations ne sont pas équipées pour contrôler ses effets aussi efficacement que les leaders mondiaux du tourisme dans les pays développés. Les économies fortement dépendantes du tourisme sont particulièrement vulnérables, et cela est se confirme dans les Petits États Insulaires en Développement (PEID), où les impacts du climat se font sentir de manière aiguë.
Les Caraïbes, où la plupart des pays figurent parmi les 25 nations les plus vulnérables en termes de catastrophes par habitant ou par superficie, perdent jusqu'à 17 % de leur PIB chaque année en raison des catastrophes liées au climat, tandis que la région Asie-Pacifique est confrontée à une augmentation sans précédent des phénomènes météorologiques extrêmes, qui perturbent les voyages et dévastent les communautés locales.
Depuis 2000, plus de 7 000 catastrophes majeures ont été enregistrées dans le monde. Selon la Banque mondiale, les catastrophes liées au climat coûtent désormais plus de 300 milliards de dollars par an à l'économie mondiale, affectant de manière disproportionnée les destinations côtières et insulaires, où le tourisme est l'épine dorsale de l'économie.
Malgré ces chiffres alarmants, il n'existe aucun mécanisme mondial permettant d’amortir le choc. Les destinations sont livrées à elles-mêmes, reconstruisant souvent avec des ressources insuffisantes, laissant les communautés encore plus vulnérables à la prochaine catastrophe. Le coût économique est considérable. Entre 1970 et 2020, les PEID ont perdu 153 milliards de dollars en raison de phénomènes météorologiques extrêmes, un chiffre qui prend d'autant plus d'ampleur que le PIB annuel moyen de ces États n'est que de 13,7 milliards de dollars.
Le besoin urgent d'un fonds mondial pour la résilience
La résilience ne consiste pas seulement à rebondir, mais aussi à aller de l'avant. Un Fonds Mondial pour la Résilience Touristique servirait à la fois de mécanisme de réponse aux situations d’urgence et d'investissement à long terme pour construire des économies touristiques plus fortes et plus adaptables. Le fonds devrait :
• Fournir une aide immédiate en cas de crise : un soutien financier rapide pour reconstruire des infrastructures, restaurer les écosystèmes et stabiliser les économies locales au lendemain des catastrophes
• Financer des projets de renforcement de la résilience : investir dans des infrastructures intelligentes adaptées au climat, des modèles de tourisme régénérateurs et des initiatives menées par les communautés pour préparer les destinations aux défis futurs
• Proposer des programmes d'atténuation des risques et de préparation : fournir aux destinations les outils et la formation nécessaires pour anticiper, gérer et atténuer les risques, réduisant ainsi l'impact global des crises
Sans un tel fonds, les économies dépendantes du tourisme continueront de souffrir, creusant les inégalités et privant les générations futures de leur patrimoine culturel et de leurs merveilles naturelles.
L’ONU Tourisme : le catalyseur ultime du changement
Pour protéger l'avenir du tourisme et des économies qui en dépendent, le monde doit agir maintenant. Un Fonds mondial pour la résilience touristique pourrait fournir le coussin financier nécessaire pour soutenir la reprise après une crise, investir dans des infrastructures d'adaptation au climat et renforcer la résilience à long terme des destinations vulnérables. Ce fonds mobiliserait des ressources provenant de la philanthropie, d’institutions multilatérales, de partenariats public-privé et des mécanismes de financement durable afin de s'assurer que les nations vulnérables ne soient pas laissées seules face aux chocs climatiques.
L'ONU Tourisme est particulièrement bien placé pour mener cet effort. En tant qu'autorité mondiale du tourisme, il dispose de la crédibilité, du réseau et de l'influence nécessaires pour rassembler tous les acteurs autour d’une cause commune.
Une responsabilité collective et une opportunité déterminante
Le secteur du tourisme est l'un des moteurs les plus puissants de l'humanité en termes de connexion, de croissance économique et de préservation culturelle. Mais elle ne peut pas prospérer uniquement grâce à l’espoir. La résilience doit être financée. Le coût de l'inaction est tout simplement trop élevé.
D'autres secteurs ont réussi à tirer parti des mécanismes de financement mondiaux pour traiter les risques systémiques, créant ainsi un précédent pour l'action dans le secteur du tourisme. Le Fonds Vert pour le Climat (FVC), créé en vertu de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), a mobilisé plus de 12 milliards de dollars pour soutenir les efforts d'adaptation et d'atténuation du climat dans les pays en développement. De même, le Fonds Mondial de Lutte contre le Sida, la Tuberculose et le Paludisme a contribué à sauver plus de 50 millions de vies en regroupant des ressources provenant des gouvernements, des banques de développement et des donateurs privés pour lutter contre les crises sanitaires mondiales. Le Mécanisme mondial de financement des infrastructures de la Banque mondiale réunit des capitaux publics et privés pour financer des projets d'infrastructure à grande échelle, garantissant ainsi une résilience économique à long terme.
Ces fonds démontrent que des mécanismes financiers bien structurés et soutenus au niveau international peuvent entraîner un changement significatif. Un Fonds mondial pour la résilience touristique fonctionnerait dans le même esprit — en fournissant aux économies touristiques vulnérables des investissements ciblés pour construire des infrastructures résilientes au climat, renforcer la préparation aux catastrophes et sécuriser des moyens de subsistance durables.
Pendant trop longtemps, le secteur du tourisme s'est reposé sur des solutions ponctuelles et des secours à court terme. L'avenir exige une approche plus globale et avant-gardiste. Je l’imagine non seulement réactif, mais proactif, utilisant l'adversité comme un catalyseur pour la transformation. En réformant l'ONU Tourisme, je ferai passer son efficacité de la rhétorique à l'action tangible, qui change la donne, telle que l’exige la situation actuelle.
Lire aussi
ONU Tourisme : appel à la création d'un Centre de Données sur la Résilience du Tourisme