Quatre mois après le passage dévastateur de ce cyclone tropical, suivi de la tempête Dikeledi, le secteur touristique mahorais tente de se relever. Bien que les dégâts soient lourds et la reprise fragile, les professionnels du tourisme se battent via des mesures concrètes proposées pour une future feuille de route
Avant Chido, le tourisme représentait un pan important de l’économie locale. En 2024, 74 000 touristes avaient été accueillis à l’aéroport Marcel Henry, générant 88 millions d’euros de retombées économiques. Le secteur comptait pour 5,6 % des entreprises du territoire et 5,3 % de l’emploi salarié.
Un secteur déjà fragilisé
À Mayotte, les catastrophes climatiques récentes n’ont fait que renforcer une crise plus profonde. Depuis plus de dix ans, le tourisme local subit une succession de chocs : grèves contre la vie chère (2011), insécurité (2018, 2024), crise sanitaire (Covid-19), ou encore la crise de l’eau et les tensions liées à l’opération Wuambushu (2023). Résultat : un secteur affaibli, démoralisé, et aujourd’hui gravement sinistré.
Des chiffres alarmants
Les premiers constats dressés au 1er mars 2025 sont sans appel :
- 67 % des opérateurs de la filière fermés au 31 janvier
- 50 % seulement en activité au 10 mars
- 45 millions d’euros de dommages estimés pour les professionnels avec 68% du bâti hors d’usage ou en mauvais état (encore en cours sur la base de 60 opérateurs, en attente pour les autres)
- 21 millions d’euros de pertes d’exploitation au 1er mars (pour 60 opérateurs uniquement, en attente des autres)
- 76 % des entreprises dans une situation financière jugée moyenne à très mauvaise
- Si 80 % des entreprises déclarent être assurées, plus de la moitié n’ont reçu aucun retour satisfaisant de leur assureur
Ce blocage renforce un sentiment d’abandon parmi les professionnels, déjà méfiants envers les dispositifs d’aide publique jugés trop complexes ou opaques.
Et pourtant, malgré ce contexte, 70 % des acteurs du secteur touristique ont rouvert, au moins partiellement. Une reprise inégale, « fragile » et souvent sous contraintes : restrictions sanitaires, approvisionnements compliqués, manque de personnel, infrastructures endommagées… Par exemple, dans la communauté d’agglomération du Grand Nord, 61% des professionnels du tourisme restent encore fermés. La reprise complète du secteur touristique est estimée à environ deux ans.
Si 81 % des structures d’hébergement sont à nouveau opérationnelles, c’est en grande partie grâce à la réquisition de 57 % des chambres pour les équipes d’intervention et le tourisme d’affaires. Les hébergements situés en zones plus isolées, orientés vers le loisir, restent en grande difficulté.
Restauration, nautisme, tourisme vert : le grand flou
La restauration reprend timidement avec 43% d’ouverture au public, freinée par les dégâts matériels et les problèmes de ravitaillement.
Le secteur nautique est à l’arrêt, avec plus de la moitié des bateaux hors d’usage, et les croisières n'ont pas de perspective de reprise sans ponton à Mamaudzou et Petite Terre.
Quant au tourisme vert, il est quasiment gelé : seuls 25 % des sentiers sont praticables mais non sécurisés, et 100 % des exploitations agritouristiques ont été touchées.
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Les mesures proposées en faveur de la relance touristique
Les autorités locales, en lien avec l’Agence d’Attractivité, ont travaillé à une trentaine de mesures dont ils demandent la mise en place pour assurer une relance efficace du tourisme sur l’île.
Miser sur la consommation locale pour relancer le tourisme
Face à ces défis, la stratégie mise en place repose sur la relance à court terme, en s'appuyant notamment sur la consommation touristique des résidents mahorais. Deux mesures phares sortent du lot :
-Des chèques tourisme pour les salariés
Un dispositif de "chèques tourisme" est prévu pour stimuler l’activité locale. Il s’agit de bons d’achat d’une valeur de 2 x 50 €, exclusivement utilisables dans le secteur du tourisme et des loisirs à Mayotte. Près de 21 000 salariés du secteur privé sont concernés, avec un objectif clair : soutenir la reprise de l’offre tout en favorisant le pouvoir d’achat local.
-Des séjours seniors pour favoriser l’intergénérationnel
Autre levier : la mise en place de "séjours seniors", intégrant hébergement, restauration et activités pour les personnes âgées vivant sur l’île. Cette initiative, prévue sur trois ans, vise à favoriser le lien social intergénérationnel, tout en injectant de la demande dans les structures touristiques. Le financement nécessaire pour cette mesure s’élève à 2,88 millions d’euros sur trois ans.
Investissements touristiques : Mayotte veut soutenir l’offre existante pour accélérer la relance
Dans la continuité des dispositifs d’urgence à destination des opérateurs touristiques, les autorités locales entendent aller plus loin. Objectif : aider les professionnels à investir dans la durée, améliorer leurs infrastructures, moderniser leurs services et s’inscrire dans une logique durable :
-Des aides ciblées pour renforcer et améliorer l’offre qui pourraient couvrir :
- L’extension des capacités d’accueil (nouvelles chambres, flottes nautiques, équipements)
- La mise en conformité réglementaire (accessibilité PMR, normes sanitaires)
- L’équipement durable et la transition écologique des établissements
- L’amélioration qualitative de l’expérience client (modernisation, services, confort)
- la facilitation des règles d’urbanisme et l’accès au foncier :
- L’identification des opérateurs souhaitant réhabiliter ou agrandir leurs structures
- Un accompagnement administratif pour simplifier les démarches d’urbanisme
- Une assistance à l’identification de terrains disponibles et viables pour le développement
Réinventer l’hébergement touristique
- Lancer un programme de soutien à la création de nouvelles structures d’hébergements alternatifs (gîtes, chambres d’hôtes, hébergements insolites)
-Quatre pôles pour une vision territoriale cohérente : chacun avec une spécificité thématique forte :
1) Bambo Est (Hadzona) – Plongée et nature
Positionnement : hôtel 3 étoiles centré sur les sports nautiques
Superficie potentielle : 10 ha
Capacité : 120 chambres
2 centres de plongée intégrés
2) Mtsamoudou – Écotourisme et biodiversité
Positionnement : écolodge 4 étoiles
Superficie : 6 ha
Capacité : 80 chambres
Maison de la biodiversité
Sentiers doux vers la Pointe de Saziley
3) Mbouini – Luxe et exclusivité
Positionnement : hôtel haut de gamme 4-5 étoiles
Superficie : 4 ha
Capacité : 60 chambres
Activités en lien avec l’îlot de Mbouini
4) Hajangoua – Affaires et loisirs
Positionnement : hôtel 3 étoiles affaires/loisirs
Superficie : 7 ha
Capacité : 80 chambres
Synergies avec la Cité administrative et universitaire de Dembéni/Iloni
Les mesures incluent également d’autres idées comme :
-Aménagement provisoire des pontons de plaisance et du ponton des croisières à Mamoudzou
-Concevoir et mettre en œuvre une stratégie de communication destinée à l’extérieur
- Plan de digitalisation du secteur tourisme
- Mise en place d’un observatoire du tourisme durable
- Lancer un programme de certification de la destination et des professionnels au tourisme durable
- Mener un diagnostic individualisé des structures touristiques sur la vulnérabilité aux risques naturels
- Créer un Campus du Tourisme à portée régionale
- Développer une offre touristique centrée sur la valorisation du patrimoine local
- Lancer un programme ambitieux de développement d’activités touristiques liées au lagon/tourisme bleu avec un positionnement écotourisme
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Une volonté de rebond… sous conditions
Plutôt que de tout reconstruire ex nihilo, la stratégie proposée par les institutions repose tout d’abord sur la valorisation et la réactivation des forces déjà en place. Cela permetrait d’aller plus vite, de limiter les pertes économiques et de miser sur des opérateurs déjà enracinés dans le territoire.
Malgré les difficultés, de nombreux opérateurs gardent l’envie de développer leur activité. Cette volonté de résilience pourrait permettre une relance durable – à condition que les promesses se concrétisent rapidement et que certaines de ces mesures soient retenues et appliquées par l'Etat.
Emmanuel Macron se rendra à Mayotte le 21 avril au sujet de la reconstruction de Mayotte, avant de participer le 24 avril au sommet de la Commission de l’Océan Indien à Madagascar.