Le Comité pour la modernisation de l’hôtellerie et du tourisme français fondé par Mark Watkins et qui regroupe des professionnels du tourisme, journalistes, consultants, formateurs, etc.
spécialisés dans le tourisme, conteste les chiffres officiels du tourisme français qui viennent d'être publiés (lire). Dans un communiqué, ce comité s'explique.La DGCIS, dépendant du ministère de l’Economie et du Redressement productif, vient de publier les données « officielles » sur la fréquentation touristique étrangère enregistrée pour la France en 2013. Elle annonce un volume de 84,7 millions de touristes étrangers reçus et rappelle que la France demeure « la première destination touristique mondiale ». Le Comité pour la Modernisation de l'Hôtellerie et du Tourisme Français conteste ce chiffrage comme il le fait depuis son premier Livre Blanc de la Modernisation Hôtelière et Touristique paru en 2006.
Les études qui servent à établir ce classement et ce volume de touristes nous paraissent en effet contestables dans leurs méthodologies.
Elles se basent sur 2 sources :
* Une enquête auprès des visiteurs venant de l’étranger (EVE), réalisée par la DGCIS et la Banque de France.
* Une enquête de fréquentation des hébergements collectifs de tourisme (EFH), réalisée par l’Insee.
1) - La première (EVE), anciennement enquête aux frontières, s’appuie sur l'interrogation effectuée à la sortie du territoire auprès des visiteurs (touristes et excursionnistes) pour tous les modes de transport utilisés, à l'exception de la route. Pour ce dernier, à la suite de la suppression des frontières physiques consécutive aux accords de Schengen, l'interrogation s'effectue sur les… aires d'autoroutes. Environ 80.000 questionnaires remplis par les touristes sont recueillis chaque année, soit une moyenne de 6.700 par mois. « Seulement » serait-on tenté de dire.
=> Cette méthode de collecte de données est certainement au point pour cerner les aspects qualitatifs des séjours touristiques (origine des touristes, motifs et durées de séjours, budgets, types d’hébergement en France, etc.). Mais, elle ne peut objectivement pas permettre de chiffrer un volume de touristes et d’extrapoler pour arriver à la conclusion qu’il y aurait 84,7 millions de visiteurs étrangers, ni même 70 ou 50.
2) - La seconde étude (EFH) se base uniquement sur les enquêtes de fréquentation des hébergements collectifs de tourisme : hôtels, campings, résidences de tourisme, villages de vacances et auberges de jeunesse ; mais, une majorité d’entre eux (sur un total d’environ 28.000 établissements) ne sont pas interrogés. Dans ce cas, ce sont les hébergeurs qui répondent aux questionnaires qui leur sont adressés et cela n’est que du déclaratif. Or, l’on connaît la faible fiabilité de leurs réponses à propos de leurs clientèles et le fait que dans l’ensemble, ils ne tiennent pas des statistiques suivies sur la fréquentation de leur établissement.
=> Outre cette approximation dans les réponses, cette enquête auprès des hébergements touristiques ne peut pas davantage permettre d’établir une quantité de touristes étrangers reçus en France, car elle ne couvre pas l’ensemble des visiteurs, qui peuvent se trouver dans d’autres formes d’hébergements marchands/payants significatifs (chambres d’hôtes, gîtes, locations meublées,…) ou non marchands (chez des amis, dans la famille, en troc / échange d’appartements / maisons, camping-car,…).
La DGCIS admet elle-même que l’on ignore la part de visiteurs qui optent pour plusieurs modes d’hébergements durant leur séjour en France, estimé par elle en durée à une moyenne 7,1 nuitées, mais seulement 2,1 en hôtellerie (source Insee). Ils peuvent ainsi passer une ou plusieurs nuits à l’hôtel, puis chez des amis, puis dans une chambre d’hôte ou leur camping-car, avec bien d’autres combinaisons possibles encore.
3) – Dépense moyenne par touriste : Il existe par ailleurs un autre indicateur qui met à mal la statistique officielle. Il s’agit de la dépense moyenne par touriste venant en France qui est extrêmement basse. Si on divise en toute simplicité les recettes touristiques « officielles » par le nombre d’arrivées « officiel », on obtenait pour l’année 2012 seulement 647 $ de dépense par touriste, ce qui relègue la France au …83e rang mondial sur ce registre (voir notre analyse sur le sujet).
Cela nous situe par conséquent très loin de la première place autoproclamée en termes de fréquentation et de la troisième en termes de recettes touristiques. Ce constat confirme bien que l’une des deux données — le nombre de touristes ou les recettes touristiques — est fausse, sinon les deux.
4) – Touristes en transit : Enfin, les statistiques publiées par la DGCIS n’évoquent pas la part de touristes et de vacanciers qui ne font que traverser la France essentiellement dans l’axe nord-sud grâce, notamment, à nos couloirs autoroutiers performants. Ils se rendent principalement en Espagne, en Italie, au Portugal ou au Maroc, Sans parler des passagers en transit dans les aéroports qui peuvent être inclus dans les statistiques dès lors où ils séjournent au moins une nuit dans l’Hexagone (mais tient-on vraiment compte de ce détail de la nuitée ?).
Sont-ils 15 %, 20 % ou davantage encore des arrivées touristiques comptabilisées ? Et seront-ils enregistrés deux fois pour ceux qui transitent, à l’aller puis au retour ? Ce qui fait dire que le mot « destination (touristique) » n’est pas adapté à tous concernant la France.
Dans ce sens, en 2008 déjà, l'Insee mettait lui-même en doute le chiffrage officiel du tourisme français, portant sur les données de l'année 2007. Pour un total annoncé de 82 millions d'arrivées de touristes étrangers, il estimait qu'il y avait 68 millions de visiteurs pour qui la France était une destination touristique (loisirs ou/et affaires) et 14 millions de personnes en simple transit/passage vers d’autres destinations, soit 17 %.
« 84,7 millions de touristes étrangers en 2013 » : un comptage parfaitement contestable et non plausible, compte tenu des moyens et méthodologies utilisés pour chiffrer le volume des arrivées touristiques en France.
• En quoi cette statistique officielle pose-t-elle un problème ?
S’il est certes flatteur de pouvoir annoncer partout que la France est (serait) le premier pays touristique du monde, ce qui peut constituer une curiosité attractive pour les voyageurs étrangers — le succès attire —, cette annonce pose un grave problème interne au tourisme national, au-delà de son aspect « cocoricoesque ».
Cette image en trompe-l’œil brouille et empêche depuis une quinzaine d’années toute compréhension du tourisme par les élus et personnels politiques, les banques et investisseurs, les médias et les Français eux-mêmes. Crise ou pas crise, avec ses scores (artificiels) spectaculaires, le tourisme semble ainsi fonctionner tout seul, sans besoin pourtant avéré de former, d’investir, de développer de la promotion à l’étranger, de moderniser l’offre, d’améliorer notre image et de se remettre en question.
« Pourquoi se donner du mal puisque que cela fonctionne tout seul sans rien faire ? »
Ces communiqués triomphalistes influencent même les deux Assemblées parlementaires et encouragent les législateurs à créer de nouvelles taxes et règlementations touristiques, nuisibles à la rentabilité des entreprises du secteur au moment même où elles sont en crise.
Le Comité pour la Modernisation de l'Hôtellerie et du Tourisme Français est très sensible à ce sujet et considère qu’il est de première nécessité de lancer un véritable observatoire économique du tourisme, fiable, crédible et professionnel, qui servira à l’ensemble de l’économie touristique française et à ses acteurs.
Pour le moment, la France n’a aucune stratégie pour son tourisme et navigue sans visibilité sur ce registre, avec très peu de moyens promotionnels et de compétences éclairantes.
Pour en savoir plus… www.comitemodernisation.org