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Rodolphe Christin, sociologue : "Le tourisme a tué l'esprit du voyage"

Né à Chambéry en 1970, Rodolphe Christin est sociologue. Passionné de voyages, il dénonce dans le Manuel de l'antitourisme (Ecosociété) les dégâts du tourisme de masse et l'exaspération des populations locales qui commence à se développer un peu partout, comme on l'a vu l'été dernier à Barcelone ou Venise. Entretien.

 
Que reprochez-vous au tourisme ?
Je reproche au tourisme d'avoir tué l'esprit du voyage. Je pense qu'au départ, les motivations touristiques étaient fondées sur la découverte du monde  et l'envie de découvrir d'autres réalités et d'autres façons de vivre. Aujourd'hui la recherche du divertissement a supplanté la recherche de la diversité. Je pense aussi que la motivation des organisations touristiques n'est plus de permettre la découverte du quotidien des autres. Pire, je pense que bien souvent les réalités touristiques envahissent le quotidien des autres et rendent leur vie impossible. C'est ce qui engendre ces réactions de refus du tourisme, surtout quand il devient massif. On l'a vu l'été dernier à Barcelone, à Dubrovnik  ou à Venise. Ou même en France comme on l'a vu en Isère avec le refus assez vif de la population locale du projet d'implantation d'un Center Parcs. Les oppositions s'organisent et c'est nouveau. Dans l'esprit de ces opposants, la nuisance est supérieure à ce qu'elle peut leur apporter économiquement. Il y a aussi un refus du mode de vie de la société de consommation, dont le tourisme est une dimension.
 
Quand estimez-vous que le tourisme est devenu une source de pollution ?
Ce serait difficile à dater. Mais je pense que l'avènement du courant autour du tourisme équitable et du tourisme durable a montré que le tourisme n'était pas toujours durable et équitable et qu'il fallait faire quelque chose. Des voix se sont élevées pour remettre en cause le discours unanime sur les bienfaits du tourisme, de la détente et des loisirs… On sait maintenant que le tourisme est une industrie comme les autres, avec des incidences écologiques, comme les autres.
 
Les prévisions d'Iata et de l'OMT sur la croissance du tourisme dans les années à venir devraient vous inquiéter ?
Effectivement, le tourisme a de beaux jours devant lui. C'est une industrie en croissance. Les pays émergeants, dès qu'ils produisent une classe sociale qui s'enrichit, produisent en même temps des touristes. Il ne faut pas oublier que le tourisme nécessite un excédent budgétaire : il faut avoir les moyens de voyager pour le plaisir. Alors que dans le passé, on voyageait par nécessité. Le tourisme a imposé comme un plaisir le fait de se déplacer dans l'espace. Pour répondre à votre question, oui ça m'inquiète. Dans mon livre, le Manuel de l'anti-tourisme, j'évoque la mondophagie touristique. Autrement dit, le tourisme tue la réalité qu'il prétend rechercher. A force d'organiser le monde à des fins touristiques, on produit de plus en plus de lieux interchangeables, stéréotypés et standardisés. Et le jour où les gens se lasseront de ces non-lieux où la diversité et l'identité sont gommées, on se demande ce qui va se passer… Et avec l'artificialisation de plus en plus complète des lieux de tourisme, il y aura une émergence de plus en plus forte des phénomènes de contestation.
 
Comment y remédier ?
Je pense que le tourisme industriel est le résultat de ce que notre société capitaliste promeut. Aujourd'hui, le tourisme c'est l'envers du travail. Si demain une partie de plus en plus importante de la population se retrouvait privée d'emploi, la pratique touristique se réduirait. Je crois aussi à la pédagogie, mais je ne suis pas sûr que les gens soient prêts à renoncer à un plaisir pour une pratique plus raisonnable du déplacement. Pourtant, l'artificialisation des lieux de tourisme va tellement à l'encontre de la découverte et de la réalité qui devraient être au cœur du plaisir des voyageurs. Je préconise d'arrêter d'aménager le monde à des fins touristiques – ce qui est complètement utopique de ma part – et de laisser des espaces libres d'organisations. Regardez par exemple les clubs de vacances, on est arrivé à une logique fondée sur l'enfermement. On est à l'opposé de l'esprit de découverte et d'exploration. On y rencontre des gens comme nous, et on y voit des indigènes qui sont en réalité des prestataires de service, voire des serviteurs…
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Auteur

  • Nicolas Barbéry
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