La 15 éme édition du Word Connect by APG se termine, auréolée de débats animés et de déclarations surprises. Marc Rochet, aujourd’hui président Aérogestion, nous aide à décrypter les principaux messages
En guest star, Steven F. UDVAR HAZY président exécutif Air Lease Corporation, vient d’impressionner son auditoire par sa profonde connaissance de l’industrie aéronautique et sa vision du futur. Fort de ses 55 ans d’expérience et d’un CV à faire pâlir ses pairs, il interpelle la profession et bouscule les idées reçues.
Interrogé par Marc Rochet, au CV non moins flatteur, il a marqué la 15 éme édition du Word Connect.
Nous avons justement demandé à ce même PDG d’Aérogestion de résumer les enseignements à tirer de cette édition 2024 :
Tour Hebdo : Steven F. UDVAR HAZY étonne les congressistes rassemblés cette année à Malte Word Connect en faisant remonter les déboires de Boeing au succès de l’Airbus A320 Neo auquel il ne croyait pas.
Marc Rochet : La stratégie de Boeing reposait sur une autre approche : celle de créer un nouvel avion. Seulement créer un nouvel avion coûte bien plus cher que de faire évoluer une gamme existante. Les ingénieurs de l’avionneur avaient pourtant bien travaillé et bien avancé sur la conception de l’appareil baptisé le MOM. Mais faute de financement, le projet est resté plus longtemps dans les cartons.
Tour Hebdo : D’où un effet d’aubaine pour Airbus. Mais comment cet A320 Neo est parvenu autant à conquérir le marché ?
Marc Rochet : Le succès vient d’un saut technologique. L’A320 Neo incarne ce saut technologique : un nouveau moteur plus économe en carburant de près de 30%, plus silencieux grâce à un profilage repensé, capable de voler plus haut pour échapper aux turbulences, d’aller plus loin...
Tour Hebdo : Boeing ne pouvait pas faire la même chose ?
Marc Rochet : Il est parti dans une autre direction. Airbus a choisi de transformer sa gamme : de garder tout ce qui donnait satisfaction et d’optimiser tout le reste. Résultat, le Neo se présente comme l’avion le plus confortable de sa génération et le plus eco-responsable.
Tour Hebdo : Mais Steven nous alerte sur les plus grandes fragilités mécaniques de ce nouvel appareil. C’est quand même un problème !
Marc Rochet : Steven explique la situation actuelle et son contexte tendu. Le marché est reparti très vite après le Covid alors que les constructeurs avaient réduit la voilure pendant la pandémie. Résultat, la demande dépasse largement l’offre, ce qui pose des problèmes d’approvisionnement en moteur et en pièces détachées. Mais ce constat est conjoncturel et non pas structurel. A moyen terme, l’industrie se remettra à niveau et résolvant les problèmes techniques actuels que je mets sur le compte de la maturité à venir.
Tour Hebdo : Sauf si Boeing continue de plonger…
Marc Rochet : Boeing travers une grave crise sur tous les plans : dans le spatial, dans le militaire, dans sa supply chain et affronte une grève sévère au plus mauvais moment. Mais je ne doute pas qu’il va rebondir. Le mystique 747 avec sa version 300 lui a fait gagner beaucoup d’argent ainsi que le B 777-300 qui continue de se vendre en donnant parfaite satisfaction à ses clients, tout comme le dernier 787. De toutes les façons, il faut de la concurrence pour équilibrer les offres et demandes.
Tour Hebdo : Et pour le court terme ?
Marc Rochet : Il y a et il aura des décalages. Les compagnies vont prolonger la durée de vie de leur flotte de 1 à 2 ans pour laisser aux constructeurs le temps de rattraper leur retard.
Tour Hebdo : Mais Stephen se montre pessimiste au regard des innovations technologiques à attendre. En particulier il ne voit pas les avionneurs dans les constructions d’hélices d’un plus grand diamètre, ce qui permettrait, paraît-il, de moins consommer de kérosène.
Marc Rochet : A titre d’exemple, pour consommer moins de kérosène, il faut des ailes plus grandes. C’est incompatible avec la conception des aéroports actuels. Mais cet avion existe et ses ailes sont repliables, ce qui permet une fois atterris de se ranger aux emplacements actuels. C’était impensable il y a dix ans. Vous voyez que l’innovation continue. C’est toute l’histoire de l’aviation qui s’illustre par des conceptions et des adaptations nouvelles permanentes.
Tour Hebdo : À condition que rien n’entrave sa marche en avant. Stephen, comme vous d’ailleurs, se montre très sévère avec les politiques…il va jusqu’à dire que s’ils sont brillants, intelligents, dotés d’un remarquable cursus universitaire …ils sont totalement incompétents, car ne connaissant rien à l’aviation. De plus, quand ils commencent à se familiariser avec ce secteur, ils changent. Pas tendre Stephen…
Marc Rochet : Je ne vais pas aussi loin dans ses propos. Mais je regrette, comme lui, que nos politiques soient soumis au dictat de l’opinion publique instantané. Résultat ils s’occupent du court terme et ne savent plus mettre une économie en perspective.
Tour Hebdo : D’où la réaction de Christian Sabbagh, président de Travelsoft, totalement abasourdie d’apprendre de Steven que nous pourrions économiser entre 10 et 15% de kérosène, simplement en travaillant nos routes aériennes ! Christian n’a pas peur des mots : pour lui c’est un scandale !
Marc Rochet : Il a raison et ce n’est pas faute de nos efforts permanents à faire évoluer le contrôle aérien totalement ossifié, incapable de bouger et de s’adapter à la modernité de notre monde connecté. Je mets tout le monde dans le panier : syndicat et gouvernement. Il faut un courage politique qu’ils n’ont pas. Le scandale, il est là. On le voit bien avec l’électrification des aéroports.
Tour Hebdo : C’est-à-dire ?
Marc Rochet : Le matériel de transport au sol est très gourmand en consommation de kérosène. Il suffirait de mettre en place des véhicules électriques et les bornes adaptées pour diminuer sérieusement la pollution. C’est parfaitement possible. Mais il faut une volonté politique et en 2 à 3 ans c’est fait. Voilà une mesure concrète et réaliste plutôt que de laisser certain délirer en imaginant un Orly sans voiture ! comme si un aéroport pouvait de concevoir sans voiture ! on laisse l’absurde s’insinuer dans les esprits.
Tour Hebdo : Yannick Assouad de Thales Avionics a interpellé Christine Ourmières-Widener Ceo d’Airline division Dubreuil, compagnie que vous connaissez bien, sur l’augmentation de la taxe Chirac. Elle expliquait que cela allait affaiblir le pavillon français. Qu’en pensez-vous ?
Marc Rochet : Le poids de cette taxe va peser, en effet, d’une façon déséquilibrée sur les compagnies basées en France. Le consommateur aura tôt fait de partir d’Amsterdam ou de Milan pour éviter de payer plus. Pour se tirer une balle dans le pied, on ne peut pas mieux faire ! Cette taxe va affaiblir considérablement la compétitivité du pavillon français
Tour Hebdo : Pourtant, le ministre du Transport, au beau milieu du World Connect, estimait que cette augmentation était justifiée…
Marc Rochet : Elle n’est absolument pas justifiée. D’aucune façon. Je rappelle que la taxe Chirac devait être affectée aux besoins médicaux des populations déshéritées d’Afrique. Elles n’ont pas vu le moindre euro et pour cause ces recettes ont servi à boucher les trous du budget. Augmenter encore cette taxe revient à faire les poches du contribuable pour éponger la gabegie d’un état glouton incapable de tenir ses comptes. Le problème à la base est celui de la dépense publique, pas du transport aérien. J’aurais accepté un euro de taxe contre un euro de Co2 économisé, car notre industrie doit se décarboner pour assurer son avenir de celui de la planète. Mais pas pour financer le tonneau des danaïdes.
Tour Hebdo : David Curmi président de KR Malta répondait à Christopher Buckley, anciennement Airbus industrie sur le caractère économique globale du transport aérien. Le tourisme en fait partie, surtout dans une île comme Malte, mais pas uniquement. Il faut ajouter les approvisionnements, les denrées périssables, les affaires…
Marc Rochet : Je partage sa vision. Arrêtons de penser que le transport aérien ne profite qu’aux riches. D’abord c’est faux. Ensuite, le transport aérien participe à l’économie du monde, à promouvoir la démocratie, à apporter des recettes touristiques aux populations qui en ont besoin, à installer la paix. Etc.
Tour Hebdo : Christine Ourmières-Widener commentait une étude que vous devez connaître, vous l’avez sans doute vous-même commandée : la structure de la clientèle des TGV est quasi la même que celle de l’avion !
Marc Rochet : Cette étude montre à quel point il y un décalage entre la réalité et perception. Ceci explique bien des décisions prises par nos gouvernants sous l’emprise de leur opinion publique. C’est parfaitement préjudiciable d’autant que le transport aérien français s’est engagé sur une réduction de ses émissions de CO2 d’ici 2030 et vise la neutralité en 2050. Le véritable enjeu se situe là.
Tour Hebdo : pour terminer politique et service privé, Adel Al Ali de Air Arabia expliquait que l’agent public posait toujours un problème, car les gouvernements exigent des compensations en retour.
Marc Rochet : C’est tout le problème, outre le fait que ça perturbe l’équilibre de la concurrence ! L’argent de l’état ne devrait que servir à subventionner des petites lignes ayant pour mission de desservir certains territoires difficiles à rentabiliser, comme la Corse. Pas plus.
Tour Hebdo : Et pour terminer avec vous. Vous apportez vos conseils aux compagnies qui en font la demande comme Air Austral. Pour cette dernière, vous êtes confiant ?
Marc Rochet : Raisonnablement. Il y a à la tête de cette compagnie des personnes de grandes valeurs. J’ai confiance dans cette équipe même si les efforts demandés doivent continuer.
Tour Hebdo : Ça ne reste quand même pas facile
Marc Rochet : La nature humaine n’a pas vocation à buter contre un problème, mais bien à résoudre le problème.