Face à une montée brutale des tensions au Moyen-Orient, Israël mène des offensives sans précédent contre l’Iran. Derrière les frappes et les éliminations ciblées, une question centrale se pose : Trump va-t-il entrer dans la guerre ? François-Xavier Izenic interroge Ulysse Gosset à ce sujet
Brouillard stratégique et dilemme américain
La situation actuelle place le monde dans “le brouillard de l’attente”, explique le journaliste Ulysse Gosset. Donald Trump, toujours président, se retrouve face à un choix existentiel : soutenir l’escalade israélienne jusqu’à la confrontation directe ou maintenir la doctrine de désengagement militaire qu’il martèle depuis son premier mandat.
« Il ne voulait pas de ce conflit », rappelle l’intervenant. Ses conseillers se divisent : les faucons du Congrès l'encouragent à frapper fort, à faire tomber le régime des mollahs. D’autres, issus de la mouvance Make America Great Again (MAGA), exigent un refus net de toute intervention directe. Pour eux, cela serait une trahison.
Soutien discret mais décisif
Washington soutient déjà l’offensive par le biais de renseignements, d’armement, de logistique. Mais Trump refuse encore d'engager ses troupes ou de lancer une campagne aérienne. Car franchir ce seuil entraînerait un conflit global.
Un point cristallise les tensions : les bombes américaines ultra-puissantes de 12 000 kg capables de détruire des infrastructures nucléaires profondément enfouies, à 60 voire 80 mètres. Si Trump livre ces armes à Israël, la ligne rouge serait franchie. L’Iran riposterait alors, probablement sur des intérêts américains ou des pays alliés comme l’Arabie saoudite, Dubaï ou les Émirats.
Le grand dessein israélien
Officiellement, Tel-Aviv cible l’infrastructure nucléaire iranienne. Mais l’ampleur des frappes et l’élimination méthodique des hauts cadres du régime laissent entrevoir une ambition plus vaste. Israël poursuit une stratégie d’élimination politique et militaire à grande échelle.
L’objectif réel serait l’élimination du leader suprême Ali Khamenei. Ces derniers jours, les Israéliens ont piraté la télévision iranienne pour diffuser des images et appeler à la révolte populaire. L’État hébreu ne se contente plus de dissuader : il cherche à provoquer un effondrement interne.
Effondrement du régime : vers l’inconnu
Et si la République islamique tombait ? Aucun successeur légitime ne se détache. Le fils du guide suprême a été positionné, mais le vide politique ouvrirait une période de chaos. Sans transition maîtrisée, le pays pourrait basculer dans une guerre civile violente.
L’histoire nous a montré que les renversements par la force plongent les pays dans l’instabilité et ne finissent jamais bien. Le journaliste fait le parallèle avec ce qui s'est passé en Iraq en 2003 où les Américains ont fait tomber Saddam Hussein. Une histoire similaire avec Kadhafi…
La bombe nucléaire : ligne rouge israélienne
Pour Israël, le cœur du problème demeure le programme nucléaire iranien. Tsahal, l’armée de l’État d’israel, affirme que Téhéran approche dangereusement du seuil de fabrication. “L’Iran pourrait produire neuf bombes nucléaires de manière imminente”, assurent les renseignements israéliens. Pourtant, selon la directrice nationale du renseignement américain, la fabrication ne s’imposait pas encore comme une menace immédiate. En revanche, le patron de la CIA soutient l’attaque contre l’Iran.
Une prolifération incontrôlable ? L’Iran doté de l’arme nucléaire entraînerait une course à l’armement dans la région : Arabie saoudite, Égypte, Émirats… tous pourraient réclamer la même capacité.
« On entrerait dans un monde encore plus dangereux », souligne l’expert.
Le rôle ambigu de Trump
Ironie stratégique : le démantèlement de l’accord nucléaire iranien résulte d'une décision de Trump lui-même. En 2018, son retrait de l’accord signé avec l’Europe et l’Iran a relancé l’enrichissement d’uranium.
« Celui qui a finalement permis à l’Iran de poursuivre son programme, c’est Trump », explique Ulysse Gosset. Aujourd’hui, l’homme fort de Washington doit gérer les conséquences d’un revirement historique.
L’Europe impuissante
Malgré les déclarations, les capitales européennes peinent à peser dans ce conflit. Macron n’a pas condamné l’attaque israélienne : « Israël a le droit de se défendre »
Le chancelier allemand Friedrich Merz va plus loin : “Israël fait le sale boulot”. L’Europe regarde, mais la décision finale se prendra à Washington. Non pas collectivement, mais par un seul homme.
Une guerre technologique et asymétrique
En quelques jours, Israël a mené l’une des plus vastes campagnes de frappes ciblées de son histoire. Une vingtaine de généraux et dirigeants iraniens éliminés. Des infiltrations jusque dans les services de renseignement. Une démonstration de puissance sans précédent.
Et pourtant, l’Iran conserve des moyens de riposte. 2 000 missiles restent en état de tir. L’hôpital bombardé hier en Israël rappelle que la guerre ne fait pas qu’ébranler Téhéran. Elle frappe aussi Tel-Aviv.
Vers un nouveau Moyen-Orient ?
Des projets de reconstruction, des stations balnéaires à Gaza, des casinos, des hôtels... Le fantasme d’un Proche-Orient transformé surgit. Et rejoint la vision de certains évangélistes américains, proches de Trump, qui appellent à une guerre sainte contre le régime iranien.
Israël mène une guerre totale contre l’Iran, bien au-delà d’une simple réponse sécuritaire. Trump, clé de voûte de cette crise, incarne l’ambivalence américaine entre repli stratégique et tentation impériale.
La suite dépendra d’un choix personnel, aux conséquences mondiales. Dans un contexte explosif, où la stratégie flirte avec l’idéologie, le monde retient son souffle.