Retour sur une table ronde engagée et riche en perspectives
Le secteur du tourisme, historiquement marqué par une forte présence féminine dans les métiers opérationnels mais encore inégalitaire dans les postes de direction, connaît aujourd’hui une transformation profonde.
Lors d’une table ronde réunissant Aurélie Sandler co-CEO d’Evaneos, Franck Gervais directeur général du Groupe Pierre & Vacances – Center Parcs et Guillaume Linton CEO d’Asia – trois dirigeants engagés – les intervenants ont exploré les différences hommes-femmes à travers des thèmes concrets : congés parentaux, carrière, formation, recrutement, attentes des candidats ou encore égalité salariale.
Voici les enseignements majeurs de cet échange.
Maternité : une absence anticipable qui ne doit pas freiner la carrière
Dès l’ouverture, Franck Gervais rappelle une évidence souvent oubliée : « le congé maternité est un événement prévisible et totalement intégrable dans la gestion d’entreprise. ». Il insiste sur l’importance de ne jamais laisser cette absence temporaire freiner une promotion – une erreur de management encore trop répandue.
Le retour doit être anticipé et personnalisé : certaines collaboratrices souhaitent couper totalement, d’autres préfèrent garder un lien. L’enjeu est donc un accompagnement individualisé.
Des dispositifs innovants chez Evaneos : flexibilité et sécurité salariale
Sa co-CEO détaille les mesures mises en place dans son entreprise, notamment :
- un retour progressif à 3/5e pendant 6 semaines,
- une augmentation garantie au retour de congé maternité.
Elle rappelle un chiffre frappant : 98 % des femmes considèrent la maternité comme un frein à leur carrière. Pourtant, de nombreuses études prouvent que les entreprises avec des femmes leaders sont plus performantes.
Pour elle, promouvoir l’égalité n’est pas qu’un sujet sociétal : c’est un choix économique rationnel.
Congé paternité : un droit en expansion, mais encore timide en France
Guillaume Linton apporte un éclairage historique :
- créé en 2002,
- longtemps limité à 3 jours obligatoires (jusqu’en 2021),
- puis élargi à 7 jours obligatoires et 28 jours maximum.
Il compare la France aux leaders européens : Suède (12 à 78 semaines), Espagne (16 semaines). Le retard français trouve son origine dans un modèle très genré consolidé jusqu’aux années 1990.
Des pratiques qui évoluent, mais un héritage culturel tenace
Aujourd’hui, les congés paternité sont largement pris et normalisés.
Pour Aurélie Sandler, l’égalité nécessite parfois des mesures volontaristes, voire des quotas.
Franck Gervais évoque la symétrie croissante des rôles parentaux, qu’il observe aussi dans sa propre vie. L’équité domestique devient une norme – doucement, mais sûrement.
Appliquer l’égalité à l’international : entre ambition et réalités locales
Evaneos déploie ses politiques d’égalité dans un réseau mondial via Travel Life, en les adaptant aux réalités culturelles. Objectif : 200 agences dirigées par des femmes sur 600.
Mais certains métiers restent culturellement verrouillés, comme celui de guide, très masculin et bien rémunéré. Guillaume Linton souligne que l’entreprise peut inciter, accompagner, mais rarement imposer.
Formation et progression : lever l’auto-censure et les biais
La sous-utilisation des dispositifs de formation par les femmes est un enjeu majeur.
Pour Franck Gervais, cela s’explique par une auto-limitation héritée des schémas passés.
Aurélie Sandler décrit des formations collectives (Fresque du climat, Fresque de la diversité) visant à révéler les biais cognitifs. Elle propose d’intégrer des indicateurs extra-financiers dans la performance, afin d’aligner les objectifs sociaux et économiques.
Recrutement : la mixité se joue dès la détection des talents
Guillaume Linton rappelle que tout commence au moment du recrutement. Il cite deux cas :
- un recrutement CTO avec seulement 1 femme sur 12 candidats,
- un poste commercial avec majorité de candidatures féminines.
En dix ans, il constate une amélioration nette des pratiques et un effet tangible des politiques publiques en faveur de l’égalité.
Quête de sens et flexibilité : les nouvelles priorités des candidats
Le salaire n’est plus au centre des discussions.
Les candidats cherchent :
- du sens,
- une culture d’entreprise saine,
- de la cohérence,
- un bon équilibre vie pro/perso.
Franck Gervais cite une étude Accor révélant 25 % de performance en plus dans les hôtels dirigés par des femmes.
Guillaume Linton confirme l’importance désormais vitale de la flexibilité : chez Asia, un tiers des équipes est en télétravail permanent.
Égalité salariale : des réalités très contrastées
Les écarts persistent, mais varient fortement :
- Pierre & Vacances / Center Parcs : >10 %, objectif zéro en 2028.
- Evaneos : 8 %, lié à la surreprésentation masculine dans les métiers de développeurs.
- Asia : situation inverse, hommes payés 7 à 8 % de moins, conséquence de l’ancienneté plus élevée des femmes.
Guillaume Linton raconte même une visite d’inspection du travail qui reprochait… un manque d’hommes dans l’entreprise !
Perspectives : des progrès, mais un combat encore nécessaire
En conclusion, Aurélie Sandler souligne que malgré les avancées, les droits des femmes régressent dans de nombreuses régions du monde, d’où la nécessité de maintenir un engagement fort partagé par les deux sexes.
Franck Gervais espère une société où les quotas deviendront inutiles.
Guillaume Linton rappelle enfin un point clé : la directive européenne du 10 mai 2023 sur la transparence salariale, obligatoire au 7 juin 2026. De quoi garantir le progrès social au-delà des seules bonnes volontés.
Un secteur à la croisée des chemins
Le tourisme, secteur profondément humain, est en train d’opérer un virage majeur.
Les entreprises prennent conscience de leur rôle dans la réduction des inégalités et développent des actions concrètes : flexibilité, transformation des pratiques managériales, encouragement des carrières féminines, lutte contre les biais.
Mais la table ronde le rappelle avec force : l’égalité n’est pas encore acquise. Elle demande de la constance, de la pédagogie, du courage…
Et surtout une conviction : qu’un secteur plus égalitaire est aussi un secteur plus performant, plus attractif et plus durable.
