Christian Sabbagh, président de Travelsoft, répond à la controverse débattue lors du congrès Manor
Lors du dernier congrès Manor, une discussion animée a mis en lumière une question sensible dans le monde du tourisme : les outils technologiques comme les GDS ou les plateformes telles qu’Orchestra nuiraient-ils à la réflexion et à l’autonomie des agents de voyage ?
Certains redoutent en effet que la facilité d’accès à l’information et l’automatisation des tâches ne conduisent à un appauvrissement de la compétence métier, voire à une standardisation de la relation client.
Pour d’autres, au contraire, ces outils représentent une opportunité inédite : celle de libérer du temps et de renforcer la dimension conseil du rôle d’agent de voyage.
Afin d’apporter un éclairage à ce débat, Tour Hebdo a rencontré Christian Sabbagh, Fondateur et Président de Travelsoft, éditeur d’Orchestra, la plateforme de référence pour la distribution de voyages. Entretien sans détour.
« Les plateformes ne brident pas la réflexion, elles libèrent du temps pour mieux écouter le client »
Tour Hebdo : Les plateformes comme Orchestra empêchent-elles les agents de voyage de réfléchir ?
Christian Sabbagh : Est-ce que les GDS ont empêché les agents de réfléchir ? Non. Ils leur ont surtout permis de gagner un temps considérable, synonyme de productivité. Ce temps libéré est consacré à l’écoute du client, à la compréhension fine de ses attentes et à la personnalisation de la réponse. Les outils de productivité ne desservent pas le vendeur : ils l’aident à se concentrer sur la valeur ajoutée de son métier.
Tour Hebdo : Vous associez donc directement le temps à la technologie ?
Christian Sabbagh : C’est l’un des impacts en effet. Pour l’illustrer, prenons un exemple basique : un client vient voir son agent de voyage, qui n’utilise pas de plateforme pour réserver un séjour d’une semaine en club en crête avec ma femme et ses deux enfants ? Il doit consulter les quatre voyagistes sur la destination, vérifier la disponibilité des produits, leurs tarifs, les catégories de chambres, les horaires des vols, etc. … Résultat : une demi-heure avant même d’obtenir une bonne vision du marché. Avec une plateforme, l’information vient à lui automatiquement. Il peut rester concentré sur son client tout en respectant la politique commerciale de son réseau.
Tour Hebdo : C’est-à-dire ?
Christian Sabbagh : C’est un deuxième effet vertueux. La plateforme intègre cette politique, ce qui évite à l’agent d’aller chercher les informations internes. Le gain de temps est donc double : sur la recherche d’offres et sur l’application des règles commerciales.
Tour Hebdo : Certains estiment pourtant que la simplicité technologique réduit la productivité. Qu’en pensez-vous ?
Christian Sabbagh : J’ai rarement entendu ça quand même. Quand c’est rapide et simple, vous gagnez du temps. Et ce temps sert à mieux servir le client. Imaginez une autre situation, un client veut partir en Tunisie, puis change d’avis pour le Maroc et enfin l’Espagne. L’agent doit tout recommencer à chaque fois. C’est inutile. La technologie, au contraire vous apporte du confort et du temps pour rester disponible et l’écoute de votre client.
« La personnalisation est aujourd’hui au cœur de la technologie »
Tour Hebdo : Les outils atteignent aujourd’hui un niveau de granularité inédit. Pourquoi alors limiter Orchestra au « mass market » ?
Christian Sabbagh : D’abord, le « mass market » n’est pas un gros mot. C’est un segment en tant que tel qu’il faut savoir traiter. Ensuite, il n’y a jamais eu d’ambiguïté, Orchestra n’a pas vocation à faire du “sur-mesure intégral” : pour cela, nous avons d’autres plateformes comme Travel Compositor. En revanche, Orchestra permet de personnaliser une offre existante : composition des chambres, catégorie des chambres, vols, transferts ou toute autre offre proposée par un voyagiste ou par le distributeur … Cette personnalisation répond déjà à une forte attente client.
Tour Hebdo : Et pour le voyage à la carte ?
Christian Sabbagh : Le voyage à la carte nécessite une autre plateforme. Travel Compositor permet de construire des itinéraires complexes, totalement digitalisés, en temps réel. L’agence peut ainsi répondre immédiatement à des demandes très spécifiques de A à Z, tout en gardant la maîtrise du conseil. La principale implémentation de Travel Compositor en France est faite avec les Tour-Opérateurs du groupe Marietton sous le nom de Travel Explorer.
« Le vrai risque, c’est de ne pas avoir de technologie »
Tour Hebdo : Et pour ceux qui affirment que les plateformes empêchent les jeunes vendeurs de réfléchir ?
Christian Sabbagh : C’est une drôle d’idée. Ces jeunes ne connaissent pas encore toutes les destinations ni tous les produits. Ce n’est pas au début de leur carrière qu’ils vont avoir fait bon nombre d’éductours. Donc comment je fais en sorte d'avoir des jeunes agents de 20 ans, 22 ans ou 23 ans, qui aiment le contact humain, qui aiment la vente, qui aiment le tourisme mais qui ne sont pas experts ? Comment on fait si on ne leur propose pas une solution ? On ne recrute plus de nouvelles personnes ? La plateforme les aide à structurer leur démarche et à se concentrer sur la relation client avec des outils modernes. Enfin, comment permettre des ventes en ligne, comment bénéficier des complémentarités entre un site internet et une agence … sans plateforme ?
Tour Hebdo : D’autant que cette nouvelle génération est parfaitement à l’aise avec les outils numériques !
Christian Sabbagh : Exactement. Si les professionnels du tourisme ne disposent pas des mêmes environnements digitaux que le grand public, ils seront rapidement hors-jeu. C’est aussi vrai pour l’intelligence artificielle : il faut s’en emparer pour rester dans la course.
Tour Hebdo : En conclusion, la technologie n’empêche donc pas de réfléchir ?
Christian Sabbagh : Non, bien au contraire. Le vrai danger, ce serait de s’en passer. Sans technologie, vous perdez du temps, vous perdez en compétitivité… et, à terme, vous sortez du marché.
En résumé
La controverse autour des outils technologiques dans le tourisme n’oppose pas la machine à l’humain. Elle questionne plutôt la manière dont ces outils peuvent redonner du sens au métier. Pour Christian Sabbagh, la technologie ne remplace pas la réflexion, elle la facilite - en offrant à l’agent de voyage ce qu’il a de plus précieux : du temps pour écouter, conseiller et créer de la valeur.
