« Invité d’exception » au congrès Manor à Marrakech, le philosophe Raphaël Enthoven est venu discourir sur les vertus et limites de l’innovation. Dans son brillant exposé, il a également insisté sur la nécessité de « rafraîchir son regard » sur le monde qui nous environne. « L’étonnement, est selon lui une qualité fondamentale dans l’art de voyager ».
« La technologie n’est qu’au service d’une intuition et l’intuition elle-même est nourrie par l’observation ». Avec l’érudition d’un homme de son temps et son sens de la formule, Raphaël Enthoven a marqué les esprits lors de son passage au congrès Manor à Marrakech. Les 185 participants à cet évènement ont ainsi appris que la première apparition de Skype remonte à 1913 dans le livre de Marcel Proust « La Prisonnière », ou encore que l’ubérisation, « ennemi de l’intercesseur », trouve son origine dans « Le Prince » de Nicolas Machiavel au début du XVIème siècle. Sur ce dernier point, Raphaël Enthoven explique que se passer des intermédiaires est « un gain de liberté » mais peut s’avérer dans le même temps « un dépouillement ». Autrement dit, « l’homme-orchestre qui prépare lui-même ses vacances (Ndlr : sans passer par une agence de voyages) est aussi une dépossession ». En effet, à qui va-t-il se plaindre s’il lui un arrive un problème ou si son séjour n’est pas conforme à ce qu’il a acheté sur Internet. En résumé indique Raphaël Enthoven, « un gain de liberté peut être aussi une perte de liberté ».
Si pour Raphaël Enthoven, « FaceTime ou Skype sont les paradigmes de l’innovation au XXIème siècle », ce n’est pas une fin en soi. L’essentiel selon lui est « d’insister sur la qualité des rencontres ». « Quand vous changez de pays, vous allez vous imprégner de quelque chose que vous ne connaissez pas. Ce dont vous vous imprégniez ce sont des couleurs, des odeurs, des comportements, mais en aucun cas vous voyez des gens différents ». Pour le professeur de philosophie, « la nature humaine n’évolue pas. Si les lois et les usages sont différents, les gens s’aiment de la même manière quelle que soit la latitude ». En réalité, assure Raphaël Enthoven, « quand on voyage, on ne vérifie pas que les gens sont différents, on vérifie qu’ils se ressemblent ». Et comment faire du voyage « une condition d’ouverture » ? , tout simplement en constatant « qu’une personne qui a la même culture que vous n’en est pas moins différente qu’une personne qui vit à l’autre bout du monde ».
En conclusion, affirme Raphaël Enthoven, « toute personne est avant tout dépositaire d’une singularité qui la rend exceptionnelle. La qualité d’un regard, de l’étonnement est fondamentale dans l’art de voyager. Tout comme dans l’art de vendre ». Applaudissements nourris dans la salle.